Mai 2021, c’est l’heure des préparatifs. L’objectif : se rendre à Port Saint Louis du Rhône, en Camargue, pour aller chercher notre voilier So Fabbulus qui patiente au port à sec. Puis le ramener à la Trinité sur Mer, en Bretagne, par la route.
pourquoi faire simple ?
Romain planifie tous les détails du voyage depuis des semaines :
- Louer une remorque pour bateau à quille
- Trouver un véhicule suffisamment puissant pour tracter la remorque et les 1,7 tonnes de notre bébé en aluminium
- Trouver quelqu’un avec un permis remorque valide qui puisse conduire le convoi
- Organiser les grutages du bateau à Port Saint Louis du Rhône et à la Trinité sur Mer
- Savoir comment transférer le voilier de la remorque de location à un autre support
- Voir où stocker le bateau en Bretagne
- Poser des jours de congés pour faire le voyage
- Réunir les fonds pour financer l’expédition…
Bien sûr, si on avait plus de budget, on aurait tout simplement payé un transporteur qui aurait ramené le bateau pour nous. Mais ça aurait été beaucoup trop facile…
Cela dit, on a la chance d’avoir des proches qui nous soutiennent. Ils ont été nombreux à participer à la cagnotte organisée pour l’anniversaire de Romain, qui a financé une partie du voyage. Merci à eux !
Trouver la remorque était déjà un beau défi, pour un voilier avec une quille de 1,10 mètres. On a écumé le Bon Coin et autres sites de locations de particuliers. Rien ! Sur toute la France, un seul professionnel propose ce type de remorque : SpeedNautic, à la Rochelle.
On doit aussi une fière chandelle à Basile Bourgnon, qui nous offre la chance d’entreposer le bateau sur son terrain à la Trinité sur Mer, avec l’accès à tout le matériel nécessaire pour pouvoir réaliser les travaux de rénovation à venir. On pourra même emprunter une remorque découverte au fond du terrain sur laquelle stocker le bateau.
Il accepte aussi de s’occuper du grutage pour le transfert du bateau d’une remorque à une autre. En échange, on s’engage à entretenir les lieux : débroussaillage, tronçonnage pour faire du bois de chauffe et autres travaux de maintenance.
Pour le véhicule, c’est du côté d’Yvan Bourgnon, son oncle, que se trouve la solution. Il nous propose d’emprunter son 4×4 Touareg. Et pour le chauffeur, on pense à Gwenegan, le frère d’une amie, routier de profession.
Le début des imprévus
Quinze jours avant le départ, coup de fil de Gwenegan : il s’est cassé le bras, et ne pourra pas nous accompagner. Plan B : Romain contacte Seb, qu’il a rencontré lors d’un trajet Blablacar, et qui a lui aussi un permis poids lourd. Il ne nous connait presque pas, mais il accepte la mission. Ouf.
Le départ est prévu mardi 8 juin. Le week-end précédent, on se lance dans un débroussaillage de l’extrême chez Basile. A l’endroit où l’on prévoit d’entreposer le bateau, se tient un mur de ronces plus haut que moi.
Lundi, derniers préparatifs : Romain fait un peu de rangement chez Basile, et je prépare de quoi manger sur la route pour les trois prochains jours : quiche lorraine, bocal de saucisses-lentilles, salade de pommes de terre, gateau au chocolat, pain maison, fromage, café… Le timing sera serré, on empruntera les petites routes : il faut qu’on puisse être au maximum autonomes pour la nourriture, car on ne pourra pas s’arrêter souvent.
Second coup de fil : Yvan cette fois. Il a accroché son Touareg lors d’une manœuvre. Il est au garage en réparation. Il faut trouver un nouveau véhicule capable de tracter une charge lourde en moins de 24 heures… Heureusement, Yvan finit par trouver un Ford Transit disponible.
Malgré ces imprévus, on est dans les temps pour partir mardi matin. Direction le petit village vendéen où habite Seb, notre nouveau chauffeur. Il nous accueille dans sa maison à la campagne, où l’on déjeune sous le cerisier du jardin en compagnie de lui, ses colocs, et Kaya, le chien.
La Rochelle : opération remorque
On reprend la route sous un temps estival pour se rendre à la Rochelle, où la remorque nous attend. Arrivés en fin d’après-midi, les premières surprises du voyage ne se font pas attendre.
L’employé de SpeedNautic sort la remorque du parc et commence à faire avec nous le tour de la “bête” :
“Bon il manque un feu de gabarit. Mais c’est pas grave. Vous roulez pas de nuit de toutes façons ?”
– Si justement, on va rouler toute la nuit.
– Ah…”
L’inspection continue. Les feux ne s’allument pas à l’arrière.
“Ah oui, tiens. Mais vous allez pas trop loin ?
– Port Saint Louis du Rhône, en Camargue.
– Ah, quand même…
Et encore :
“Ah au fait, il manque une cale. Mais c’est pas gênant, vous allez tracter gros ?
– Ben, un voilier de 7,60 m et 1,7 tonnes.
– Ah oui, je vois…”
On démonte la prise pour comprendre pourquoi les feux ne s’allument pas. C’est simple, tout est oxydé par l’eau de mer. L’employé tend à Seb une bombe aérosol de WD40. Celui-ci commence à tout noyer sous ce dégrippant magique, qui nous rendra bien des services dans les prochains jours. Il joue du tournevis dans tous les sens, découvrant au fur et à mesure l’ampleur des dégâts.
L’ensemble des feux du côté gauche ne fonctionne plus, sur la remorque, mais aussi sur le fourgon. On commence à contrôler tous les faisceaux et les fusibles du camion. L’employé change les feux arrière. On rebranche. Cette fois, c’est tout l’ensemble des blocs feux qui ne marchent plus…
Ils sont maintenant 4 mecs le nez dans les fusibles. Le patron arrive, observe rapidement la scène, lâche un “C’est p’têt une boîte de fusible spécial remorque qui a sauté”, puis monte dans sa voiture et se barre. Utile.
On a tout testé. Mais d’un coup, le côté droit se met à fonctionner de nouveau (les voies de la mécanique sont impénétrables…). Solution provisoire : on branche les feux de gauche sur le côté droit. Les feux de gabarit (ceux situés sur les côtés pour voir le “gabarit”, c’est-à-dire la largeur de la remorque) ne donnent toujours pas signe de vie.
Je crois que c’est à ce moment-là qu’on a commencé à comprendre que ce voyage ne serait pas un long fleuve tranquille… Ou selon la formule du navigateur et poète Jean Le Cam : “ça allait pas glisser comme un pet sur un ciré”.
La nuit, tous les camions sont gris
On reprend le volant vers 19h30, avec un ensemble de 17 mètres de long et 2,50 mètres de large. On traverse une campagne vallonnée à la recherche d’un endroit pour manger. Séb repère un chemin agricole.
Il effectue un virage en marche arrière avec la remorque dans le chemin comme s’il garait une Twingo. Pour les manœuvres, je crois qu’on sera tranquilles. On mange assis sur les garde-boues de la remorque face aux collines, en regardant le soleil se coucher derrière les pins.
Quelques kilomètres plus loin, Seb profite d’un arrêt pipi sur le bas-côté pour bricoler encore un peu les feux de la remorque, à l’aide du WD40 qu’il a discrètement embarqué avec nous. Petit miracle : les feux de gabarit s’allument.
Cette fois, on roule de nuit. On a opté pour un itinéraire sans autoroute par soucis d’économie. Nouvelle découverte sur le fourgon : le commodo (la manette près du volant qui contrôle les feux) est cassé : on ne peut pas rouler en feux de route sans maintenir la manette en même temps que le volant. Comme si on faisait un appel de phare, mais pendant de longues minutes…
Dans la nuit, Seb a un coup de barre. Romain et moi ne sommes pas censés conduire car il faut un permis remorque. Mais si on veut arriver à temps au port, on n’a pas vraiment le choix. Romain prend le volant au niveau de l’aire de la porte de Corrèze, pendant que Seb se cale dans son hamac installé à l’arrière du Transit.
Après quelques heures, c’est au tour de Romain de fatiguer. Je prends sa place au niveau de Rodez. Je conduis un véhicule avec remorque pour la première fois. Prudente, j’y vais doucement. Très doucement, apparemment, car c’est le second semi-remorque qui me double…
“T’inquiète pas, ça sera tout droit.” me dit Romain, rassurant.
En fait, c’est la partie du trajet la plus sinueuse avec des virages en épingle, en plein milieu de l’Aveyron. J’ai les yeux rivés sur les rétroviseurs en priant pour ne pas accrocher la remorque dans un tournant. Heureusement, en plein confinement et au beau milieu de la nuit, on ne croise que quelques camions.
Au petit matin, je termine ce drôle de baptême par un exercice de demi-tour sur un parking (supervisé par Romain), qui se solde par un coup dans le pare-choc arrière du fourgon avec une barre de roue de la remorque.
Les manœuvres réveillent Seb, frais et dispo pour continuer la route.